« À chances égales avec les hommes, les femmes peuvent exceller » - Un entretien avec Rokiatou Traoré, engagée pour le climat

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Rokiatou Traoré à la COP28 à Dubaï.
Rokiatou Traoré à la COP28 à Dubaï. Photo: Ishimwe Cedric

Rokiatou Traoré est une jeune Malienne passionnée par les projets ayant un impact économique, social et environnemental positif. Après avoir étudié et travaillé plusieurs années à l’étranger, elle a décidé de revenir au Mali et d’y fonder HEROU Alliance, une entreprise sociale axée sur le développement de chaînes de valeur inclusives autour de produits agroforestiers.

Alors qu’elle travaillait aux côtés des populations sur le terrain, Rokiatou a pu constater par elle-même les défis auxquels celles-ci étaient confrontées en raison des effets du changement climatique. Et elle s’est vite rendu compte que leur voix, en particulier celle des femmes, n’était pas entendue dans les lieux de prise de décision sur l’action climatique. Forte de ce constat, elle a décidé d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences qui lui permettraient de prendre part aux négociations sur le changement climatique, aux niveaux local et international, et de militer pour la prise en compte de la problématique hommes-femmes dans l’action climatique.

J’ai pu parler avec elle de ses motivations, de ses réalisations et de ses souhaits concernant une action climatique accélérée et inclusive.

Qu’est-ce qui vous a amenée à travailler sur les questions de changement climatique ?

Chaque année, six millions de tonnes de bois sont consommées au Mali. Cela cause la déforestation et accélère la désertification. Notre idée, lorsque nous avons fondé HEROU Alliance, était de travailler avec les communautés rurales confrontées aux conséquences de la déforestation et du changement climatique, telles que la désertification et la malnutrition.

Lors de notre phase pilote, nous avons formé 60 femmes à la culture du moringa, un arbre à croissance rapide, résistant à la sécheresse et très intéressant sur le plan nutritionnel. Depuis, nous avons étendu notre collaboration à environ 10 000 femmes et jeunes agriculteurs de l’ouest du Mali pour transformer et commercialiser des produits dérivés du moringa, que nous vendons sur les marchés locaux, nationaux et internationaux.

Quels effets du changement climatique avez-vous observés dans votre pays ces dernières années ?

Les sécheresses et les inondations récurrentes sont devenues un problème majeur au Mali, en particulier pour les communautés rurales dépendant de l’agriculture comme moyen de subsistance. Ces catastrophes naturelles ont également profondément affecté nos activités arboricoles : en 2022, nous avons planté 20 000 plants de moringa dont la moitié a malheureusement été perdue dans des inondations.

Puis en 2023, nous avons subi une invasion de chenilles légionnaires et, en raison du manque de pluies, ce ravageur a pu se multiplier et infester nos plants et nos cultures. De nombreux paysans se sont retrouvés sans rien à récolter. Nous avons également perdu la moitié d’une pépinière de 150 000 plants que nous venions de créer dans la zone de Baguinéda.

Dans de telles situations, il est évident que les femmes restent plus vulnérables que les hommes. Comme elles ont moins accès aux terres et qu’elles cultivent de plus petites parcelles, elles ont moins de marge de manœuvre en temps de crise. En outre, ce ne sont pas elles qui prennent les décisions, ce qui les empêche de contribuer à la recherche de solutions. Pour y remédier, nous devons faire en sorte que les femmes soient sur un pied d’égalité avec les hommes en matière d’accès à la terre et aux ressources, en leur donnant les moyens de participer aux processus décisionnels au sein de leurs communautés.

Comment votre intérêt pour les négociations sur le changement climatique est-il né ? Et pourquoi est-il important que davantage de jeunes femmes africaines y participent ?

En tant que jeune Malienne ayant pu étudier et travailler à l’étranger, je pense que mon influence ne devrait pas se limiter au travail que je fais sur le terrain. Il me semble qu’il est temps pour moi de participer aux processus décisionnels.

Je pense pouvoir contribuer à ce que les personnes les plus touchées par le changement climatique au Mali et dans de nombreux autres pays africains, en particulier les femmes des zones rurales, soient représentées dans ces discussions. Dans le cadre de mon travail, je suis témoin des défis auxquels elles sont confrontées chaque jour et je cherche comment les surmonter. L’un de mes objectifs est donc de faire mieux connaître ces défis et de porter la parole des agricultrices et des jeunes dans les salles de négociation, où ils ne sont généralement ni représentés, ni en mesure d’influencer les processus décisionnels.

Ceci est particulièrement important lorsque les participants aux négociations sur le changement climatique comprennent mieux les impacts climatiques et leurs répercussions sur le terrain : il devient alors plus facile de parvenir à des accords et de prendre des décisions rapides pour traiter ces questions.

Quelle expérience avez-vous acquise dans le cadre des négociations sur le changement climatique ?

Je suis reconnaissante d’avoir eu la chance de participer à une formation sur les négociations de la CCNUCC, organisée par le Groupe des négociateurs africains sur le changement climatique (AGN), avec le soutien du PNUD, à l’intention de jeunes négociateurs et de nouvelles négociatrices de plus de cinquante pays africains, réunis en Zambie.

Cette formation m’a apporté une aide inestimable pour comprendre les rouages des processus de négociation sur le changement climatique. Elle m’a aussi aidée à mieux comprendre le rapport entre l’agriculture et les négociations sur le changement climatique, ainsi que les questions d’égalité hommes-femmes qui s’y rattachent. Étant donné mon parcours et le fait que je suis les négociations sur l’agriculture, en étant accompagnée par un négociateur expérimenté dans ce domaine, cet apprentissage a eu un sens tout particulier pour moi.

De plus, j’ai pu en apprendre davantage sur des initiatives telles que l’Initiative commune de Charm el-Cheikh sur la mise en œuvre d’une action climatique pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, qui reconnaît la vulnérabilité au changement climatique des systèmes de production alimentaire et souligne le rôle essentiel des agriculteurs, en particulier des petits agriculteurs et des éleveurs, en tant qu’agents du changement. J’ai aussi découvert l’Initiative africaine pour l'adaptation, lancée par l’ambassadeur malien Seyni Nafo.

Cela m’a été particulièrement utile lorsque j’ai assisté à la Conférence de Bonn sur les changements climatiques et aux sessions relatives au démarrage de la mise en œuvre de cette initiative lors de la COP28 à Dubaï. Grâce à la formation et au soutien continu d’autres négociateurs africains, ce qui est essentiel compte tenu de la complexité des négociations sur le climat, j’ai le sentiment d’avoir été mieux préparée à ces discussions.

J’ai aussi eu la chance de participer à des consultations, groupes de travail et sessions d’information du Groupe des négociateurs africains sur le changement climatique, du Groupe des Pays les moins avancés chargé des questions de changement climatique et du Groupe des 77 et de la Chine.

Qu’envisagez-vous pour l’avenir ?

L’un de mes objectifs est de continuer à me familiariser avec les processus de négociation de la CCNUCC, dans le but ultime de pouvoir contribuer pleinement à faciliter le consensus et à soutenir la mise en œuvre des décisions prises à la COP.

Dans les mois à venir, au sein du Groupe des 77 et de la Chine, je rencontrerai d’autres jeunes leaders pour échanger et affiner nos points de vue, et élaborer des stratégies pour contribuer aux négociations cette année.

Parallèlement, je vais poursuivre mon activité d’entrepreneuriat. Notre objectif est de planter 150 000 arbres pendant la saison des pluies, à partir du mois de mai. Nous avons modifié nos stratégies pour limiter le risque de parasites cette année, et le travail destiné à atteindre cet objectif démarrera bientôt avec des paysans. Ma plus grande ambition consiste à former 150 000 femmes et jeunes paysans, puis à les aider à planter 10 millions d’arbres d’ici à 2030.

Qu’espérez-vous de l’avancement du rôle des femmes africaines dans l’action climatique ?

Je suis impatiente de voir davantage d’initiatives axées sur la lutte contre la déforestation et la désertification, et l’un des moyens d’y parvenir est de promouvoir le développement de produits à base de plantes dans les pays en développement. Il s’agit là d’un élément clé de la lutte contre la faim, et les femmes devraient y occuper une place spécifique. Selon une étude de la FAO, l’égalité des chances pour les femmes dans l’agriculture permettrait à 150 millions de personnes d’échapper à la faim.

Nous devons orienter davantage les investissements vers les agricultrices et les entrepreneuses, en mettant à leur disposition les ressources dont elles ont besoin pour réussir. En outre, nous devrions donner davantage la possibilité aux femmes d’exploiter leurs connaissances et compétences. Il faut absolument faire en sorte que les femmes soient incluses et puissent faire entendre leur voix dans les processus décisionnels et les forums de négociation. Elles doivent pouvoir contribuer à l’élaboration des politiques et mesures qui les concerne directement.

Et nous devons investir dans le renforcement des capacités. Si l’on prend les postes situés en haut de l’échelle, les femmes y sont encore sous-représentées. En effet, les hommes accèdent généralement plus facilement aux formations et aux connaissances, ce qui leur permet d’accéder à des fonctions plus élevées. Toutefois, si les femmes sont traitées à égalité avec les hommes, elles peuvent exceller à ces postes.

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Conçu pour renforcer les capacités de l’Afrique en vue de la mise en œuvre de la CCNUCC et de l’Accord de Paris, l’atelier de renforcement des capacités des jeunes et des nouvelles négociatrices a été organisé par le Groupe des négociateurs africains sur le changement climatique en mars 2023 à Livingstone, en Zambie.

Cette réalisation a été rendue possible grâce au financement de l’Union européenne, par le biais des Plateformes du progrès pour l’action climatique, avec l’assistance technique du PNUD. Les initiatives de renforcement des capacités et le soutien des donateurs dans ce domaine sont essentiels pour encourager l’action climatique au niveau local et international. Le PNUD entend continuer à soutenir ces efforts en fonction de leur efficacité et de leur pertinence.