Au lendemain de l'ouragan Irma. Photo: Michael Atwood / PNUD
Le changement climatique frappe souvent plus durement et plus profondément les milieux fragiles et touchés par des conflits, qui sont particulièrement vulnérables et faiblement dotés en capacités d’adaptation et en mécanismes de défense. Pour faire face aux risques de sécurité liés au climat, il faut en premier lieu mettre en place des mesures d’atténuation ambitieuses et inclusives et amorcer une transition juste vers un développement à faible émission de carbone.
Une étude récente du PNUD et du Mécanisme de sécurité climatique, intitulée Le financement climatique au service de la paix : faire en sorte que le financement climatique fonctionne dans les situations de conflit et de fragilité (en anglais), permet de mieux comprendre l’accès au financement climatique dans les contextes de conflit et de fragilité. Le rapport examine les moyens de tirer parti des bénéfices multiples de l’action climatique pour la paix et la sécurité ainsi que les stratégies d’intégration des risques de sécurité liés au climat dans le financement climatique, et formule des recommandations sur la manière d’améliorer l’efficacité du financement climatique dans les contextes fragiles et touchés par des conflits.
L’organisation SPARC (Soutenir le pastoralisme et l’agriculture durant les crises récurrentes et prolongées) a publié un rapport de recherche complémentaire intitulé Explorer les angles morts liés aux conflits dans le financement de l'adaptation au climat (en anglais) sur l’accès au financement climatique dans les contextes fragiles et touchés par des conflits. Cette recherche a porté sur le Sahel et la Corne de l’Afrique, deux régions marquées par une forte concentration de pays fragiles et touchés par des conflits.
Pour de nombreux pays particulièrement vulnérables – notamment les contextes fragiles et touchés par des conflits –, l’impératif d’aujourd’hui et de demain demeure l’adaptation. Dans ces régions, l’atténuation et l’adaptation sont délimitées par le niveau d’ambition du financement climatique, et il est évident que les conflits et la fragilité sont des déterminants clés dans l’accès à ce financement et dans la manière dont les facteurs de fragilité et d’insécurité pèsent sur sa mise en œuvre.
Bien qu’il existe d’autres mécanismes pour soutenir les pays les moins avancés (PMA), environ 70 % des États fragiles sont des PMA et près de la moitié des PMA figurent également sur la Liste harmonisée des situations fragiles établie par la Banque mondiale. Il convient de prendre en compte un autre élément important dans les pays touchés par des conflits et la fragilité, moins évident que les niveaux de revenus : les conflits violents et armés peuvent entraîner la destruction – parfois délibérée – de ressources énergétiques, en eau et de capacités de production indispensables à l’action climatique (en anglais).
Les régions fragiles et touchées par des conflits souffrent souvent d’une perte ou d’un manque de capacités liées aux données climatiques et environnementales et de services hydrométéorologiques, ce qui signifie qu’elles disposent parfois de systèmes d’alerte précoce inadéquats. Des sanctions peuvent également restreindre leur accès aux sources de financement international et aux technologies propres.
Le financement climatique est réfractaire au risque et atteint rarement les plus vulnérables
L’étude du PNUD et du Mécanisme de sécurité climatique révèle que, parmi les bénéficiaires du financement climatique provenant de « fonds verticaux », entre 2014 et mai 2021, seul l’un des 15 principaux bénéficiaires du groupe combiné des États fragiles et extrêmement fragiles – la République démocratique du Congo (RDC) – est extrêmement fragile (selon l’indicateur « États de fragilité » de l’OCDE 2020). En outre, deux États extrêmement fragiles seulement figurent parmi les 20 principaux bénéficiaires (la RDC au 15e rang et Haïti au 19e rang). Lorsqu’on évalue le financement provenant de fonds verticaux, on constate que les États fragiles et extrêmement fragiles ensemble n’ont reçu en moyenne que 8,8 USD par personne en financement provenant de fonds verticaux – avec 2,1 USD en moyenne par personne dans les États extrêmement fragiles ; et 10,8 USD par personne dans les États fragiles.
Les conclusions de l’organisation SPARC indiquent qu’entre 2010 et 2018, plus de la moitié des pays du Sahel et de la Corne de l’Afrique ont reçu moins de financement pour l’adaptation par personne que la moyenne des PMA, soit 2 à 13 USD par personne dans les États fragiles et touchés par des conflits contre 18 USD par personne dans les PMA. Pourtant, les États fragiles et touchés par des conflits, bien qu’ils affichent des niveaux de développement socioéconomique similaires à ceux des PMA, se classent en tête des indices de vulnérabilité climatique.
Le Mécanisme de sécurité climatique du PNUD et le rapport de recherche de la SPARC montrent tous deux que plus un pays est fragile, moins il reçoit de financement climatique, ce qui conforte l’idée que le financement climatique est réfractaire au risque et atteint rarement les plus vulnérables. Les régions à l’intérieur des pays sont confrontées aux mêmes difficultés. Les travaux de SPARC ont mis en évidence la façon dont les programmes d’adaptation climatique au Mali, en Somalie et au Soudan ont tendance à éviter les zones touchées par des conflits et la fragilité. Cela signifie que les populations très vulnérables sont « laissées pour compte ».
Une image plus nuancée du risque : une plus grande sensibilité aux conflits
Pour éviter les erreurs d’adaptation et accroître les co-bénéfices dans les contextes fragiles et touchés par des conflits, où les ressources sont partagées et les risques indivisibles, il est nécessaire de concevoir des initiatives de programmation à l’échelon local et d’adopter davantage d’approches transfrontalières et régionales. Une plus grande sensibilité aux conflits, y compris une appréhension plus large des effets des conflits climatiques et non climatiques ainsi que des risques sécuritaires sur l’action climatique, peut améliorer la gestion des risques. De même, la qualification des bénéfices multiples ou des dividendes de la paix peut stimuler des investissements indispensables dans des contextes fragiles et affectés par des conflits, dont les plus durement touchés sont parmi ceux qui ont le moins accès au financement climatique.
Davantage pourrait être fait pour intégrer les risques de sécurité liés au climat dans l’architecture du financement climatique, ne serait-ce qu’en instillant une plus grande intentionnalité dans le processus de conception. Cela peut passer par le recours à des modalités d’action spéciales et par des appels à propositions pour lancer des projets bénéfiques à la fois pour le climat et la sécurité.
Le pouvoir de mobilisation des fonds qui réunissent déjà diverses parties prenantes pourrait être mis à profit pour inclure les acteurs de la consolidation de la paix et créer des plateformes pour engager les acteurs de la paix et de la sécurité. Il pourrait s’agir de plateformes similaires à celles qui existent déjà pour relever d’autres défis, comme le Programme mondial pour la vie sauvage du Fonds pour l’environnement mondial et le Centre et Réseau des technologies climatiques des Nations Unies. Elles pourraient favoriser les échanges, l’innovation et l’intégration des priorités dans les programmes nationaux des fonds afin de contribuer à fixer des objectifs pour le développement de projets.
Des solutions politiques et stratégiques sont également nécessaires
Mais les changements techniques seuls ne suffiront pas. Nous avons également besoin de réponses politiques aux conflits et de solutions politiques à travers lesquelles les exigences spécifiques aux contextes fragiles et touchés par des conflits sont portées lors des discussions stratégiques mondiales et des négociations sur le climat – comme celles des petits États insulaires en développement et des PMA.
Dans les contextes affectés par le double fardeau du changement climatique et de l’insécurité, le manque d’investissement financier en faveur de l’action climatique peut exacerber la vulnérabilité aux risques sécuritaires liés au climat, tandis que le coût de l’adaptation devrait continuer à croître au fil du temps en l’absence de mesure d’atténuation ambitieuse. À cet égard, depuis la COP15 de Copenhague en 2009, la communauté internationale a du mal à franchir la barre des 100 milliards de dollars par an pour le financement climatique. Dans le même temps, le Groupe africain de négociateurs sur le changement climatique souligne que le niveau de financement exigé pour lutter contre le changement climatique se situera en réalité autour de 1 300 milliards USD par an à partir de 2025.
En outre, la fragilité et les conflits affectent l’accès au financement climatique et ses résultats. Le succès ne se mesurera donc pas seulement à l’aune de la concrétisation des engagements financiers indispensables, mais aussi par la garantie que le financement climatique parcourra le dernier kilomètre pour soutenir les pays vulnérables au climat qui sont en proie aux conflits et à l’instabilité. Dans les environnements fragiles et touchés par des conflits, nous devons nous assurer que le financement pour le climat est aussi un investissement dans le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité.
Note de l’éditeur : si vous avez trouvé cet article intéressant, n’hésitez pas à consulter les rapports ci-dessous.
- le PNUD et le Mécanisme de sécurité climatique : Le financement climatique au service de la paix : faire en sorte que le financement climatique fonctionne dans les situations de conflit et de fragilité (en anglais)
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SPARC: Explorer les angles morts des conflits dans le financement de l'adaptation climatique (en anglais)
Une version de cet article est également disponible sur le site de l’organisation SPARC (en anglais).