Photo: Claire Thomas / PNUD Iraq
Selon l’OCDE (en anglais), les pays dans lesquels le financement climatique est le plus faible sont les pays les moins développés, mais également les pays à revenu élevé du Moyen-Orient et des pays à revenu intermédiaire d'autres régions qui sont le théâtre de conflits. Nombre de ces pays situés en première ligne en termes de précarité et de conflits encaissent la majorité des impacts liés à la situation d'urgence climatique.
Les conflits peuvent constituer un obstacle à l'action climatique et conduire à la destruction, parfois délibérée, des actifs nécessaires à l'adaptation climatique (accès à l'énergie et développement axé sur la résilience et une économie à faible émission de carbone). Dans les situations de précarité et de conflit, les investissements dans l'action climatique sont souvent mis en suspens, et il peut s'avérer difficile de prioriser l'adaptation climatique et l'atténuation des risques en tant qu'objectifs politiques.
En dépit de ce chevauchement, la finance climatique demeure globalement sourde aux situations de précarité et de conflit. La finance climatique, la paix et la sécurité demeurent des domaines distincts et ésotériques. Le brassage d'idées demeure jusqu'à présent réduit à sa plus simple expression et rares sont les travaux ayant porté sur la dynamique sous-tendant la finance climatique dans les environnements affectés par la précarité et les conflits.
Risques liés à l'exposition et à la fragilité climatique
Dans la pratique, les actions de consolidation de la paix axées sur l'environnement, l'adaptation climatique et l'atténuation offrent des opportunités de consolidation de la paix et de restructuration du tissu social. Dans les environnements fragiles, tirer profit des « avantages collatéraux » de l'action climatique (c.-à-d. les dividendes de la paix) est essentiel afin de relancer la finance climatique et promouvoir le développement durable.
Des infrastructures fonctionnant grâce aux énergies renouvelables peuvent par exemple constituer une véritable bouée de sauvetage dans des zones de conflits, et permettre la mise en œuvre d'autres services de base et d'urgence. De même, des solutions d'adaptation et d'atténuation axées sur le rétablissement de la paix (en anglais) peuvent aider à réduire la compétition (en anglais) entre des moyens d’existence basés sur le capital naturel et alléger la pression (en anglais) sur les infrastructures surchargées, tout particulièrement dans les zones accueillant des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays et des réfugiés.
Bien que les spécialistes de l'action climatique postulent quasi unanimement que le changement climatique va au-delà d'un simple phénomène environnemental, l'élaboration des politiques et des programmes de finance climatique ne prend pas pleinement en considération ces problématiques contextuelles. Les effets bénéfiques pour la paix consubstantiels à la finance climatique ne sont pas pris en compte de manière pertinente dans les affectations de fonds. Une affectation optimale du financement climatique doit permettre de promouvoir la résilience environnementale et sociale.
Évaluer les dividendes de la paix
Le Troisième Rapport d'évaluation du GIEC (2001) a clairement spécifié que les avantages collatéraux doivent être considérés comme des « objectifs au moins aussi importants » que les bénéfices climatiques directs. En termes d’analyse des avantages collatéraux du financement climatique, le camp des partisans de l'atténuation est toujours en avance. Mais la compilation des connaissances dans ce domaine demeure un phénomène récent, remontant aux années 90 (en anglais) et aux études sur les émissions de gaz à effet de serre. Dans leur étude de 2020 portant sur 239 articles validés par la communauté scientifique, Karlsson, Alfredsson et Westling ont constaté que les avantages collatéraux sont souvent oubliés (en anglais) dans l'élaboration des politiques. Les avantages collatéraux pour la santé et la qualité de l'air de la réduction des émissions de gaz à effet de serre sont comparativement mieux cernés. Les avantages collatéraux de l'adaptation climatique sont quant à eux rarement pris en compte (en anglais) voire sous-estimés. Rahman et Moric ont constaté en 2020 que les études sur les avantages collatéraux de l'adaptation climatique restent limitées et insuffisamment portées à la connaissance du public (en anglais), les avantages extra-économiques et les effets sur l'équité demeurant globalement ignorés.
En 2010, Tanzler, Maas et Carius ont mis en évidence les besoins en termes de finance climatique afin de « tirer le meilleur profit des co-bénéfices de l'adaptation climatique pour la consolidation de la paix » (en anglais) dans le cadre de projets locaux et par le biais de l'élaboration de programmes d'adaptation tenant compte des conflits et générateurs de transformations concrètes. Ainsi, dans leur étude de 2020 portant sur la première mouture des CDN, le PNUD et la CCNUCC ont démontré qu'il était impératif d'acquérir une meilleure compréhension (en anglais) des modalités de quantification ou d'exploitation des avantages collatéraux liés à la consolidation de la paix, dans le cadre du financement de l'adaptation climatique, mais également dans celui de l'atténuation et de l'accès à l'énergie.
Les débats sur les avantages collatéraux de l'adaptation climatique et de l'atténuation en termes de consolidation de la paix, de stabilité et de sécurité demeurent toutefois symboliques, dans le meilleur des cas. La codification de ces aspects est quasiment inexistante. Le Cinquième Rapport d'évaluation ayant mis en lumière les problèmes de maladaptation (en anglais), on estime désormais que cet état de fait peut être évité en mettant l'accent sur les avantages collatéraux pour les différents secteurs (en anglais). L'intégration de la notion de « dividendes de la paix » permettra d'apporter des arguments supplémentaires en faveur de l'action et des investissements climatiques.
Lier la finance climatique et la paix
Les travaux du PNUD se fondant sur le Mécanisme de sécurité pour le climat (en anglais) visent à connecter les processus de financement climatique et de consolidation de la paix et de la sécurité. À cette fin, le Mécanisme de sécurité pour le climat a cherché à évaluer les tendances en termes d'accès au financement climatique pour les pays affectés par des situations de conflit ou de précarité ; à identifier les lacunes et les opportunités permettant de tirer le meilleur profit des co-bénéfices de l'action climatique pour la consolidation de la paix et la sécurité ; à élaborer des stratégies pour intégrer au financement climatique les risques sécuritaires liés au climat et à partager des recommandations visant à optimiser l'efficacité du financement climatique dans les situations de conflit ou de fragilité.
Les aspects pratiques sont souvent négligés dans la boucle de rétroaction conceptuelle de l'élaboration des politiques, alors même que des approches heuristiques sont essentielles à la conception de solutions adaptées. Les travaux du Mécanisme de sécurité pour le climat mettent en exergue le recours aux évaluations thématiques, au suivi dynamique des portefeuilles et à l'exploitation de la puissance des fonds verticaux multilatéraux. Ensemble, ces capacités spécifiques peuvent engendrer un débat entre des parties prenantes diverses (notamment des acteurs impliqués dans la consolidation de la paix) et créer des plateformes pour le financement climatique et les questions relatives à la paix et à la sécurité. À l'instar du Programme mondial pour la vie sauvage du Fonds pour l'environnement mondial (FEM) et du Centre et Réseau des technologies climatiques, ces plateformes peuvent aider aux échanges, soutenir l'innovation, intégrer les priorités aux programmes nationaux des fonds et poser les jalons pour le développement des projets.
Dans le cadre du financement de l'adaptation climatique, les Plans nationaux d'adaptation peuvent être un point d'entrée tout aussi important, soutenus dans une large mesure par le Fonds pour l'environnement mondial et le Fonds vert pour le climat. Les garde-fous environnementaux et sociaux sont essentiels à l'élaboration d'approches axées sur l'absence de préjudices. Cependant, afin de contribuer de manière positive aux actions pour la paix, le secteur de la finance climatique devra reconsidérer ses Théories du changement.
Objectifs non atteints en matière de finance climatique
Alors que chaque augmentation d'une fraction de degré du réchauffement climatique nous rapproche de la limite fatidique des 1,5°C, nous risquons d'atteindre certains points de non-retour (en anglais) dans les systèmes climatiques, qui engendreront une augmentation des dépenses liées à l'adaptation climatique, estimées à 500 milliards USD par an à l'horizon 2050. En 2019, le financement public de l'adaptation climatique ne s'est élevé qu'à 20 milliards USD.
Autre aspect important : le secteur de la finance climatique demeure réfractaire au risque. L'augmentation de la valeur absolue de ce financement est un impératif. Il est cependant peu probable que les choses changent si nous ne procédons pas à une refonte de nos mécanismes de financement climatique, notamment pour ce qui est des métriques et des systèmes de gestion des résultats, car il est possible que l'accès au financement continue à être hors de portée pour certains des environnements les plus affectés par les conflits et la fragilité. En conséquence, certains pays pourraient à l'avenir être de plus en plus vulnérables aux risques climatiques, y compris les risques menaçant le développement, la paix et la sécurité.
L'établissement de métriques et de jalons prenant en compte les conflits et s'appuyant sur les dividendes de la paix peut susciter un afflux d'investissements plus adaptés aux contextes fragiles et affectés par des conflits.
Note de la rédaction : Si vous avez trouvé ce blog utile, vous pouvez consulter le rapport complet (en anglais).
Ce blog a été initialement publié sur Green Financing Platform (en anglais) et undp.org.